Intervenants : Pr Guy VALLANCIEN : ancien Chef du département d’urologie de l’Institut mutualiste Montsouris Dr Jean-Paul ORTIZ : Président de la CSMF La table ronde est animée par Sylvie FONTLUPT. Sylvie FONLUPT La récente polémique autour des infirmières de pratique avancée nous rappelle que des irritants demeurent. Comment faire évoluer les métiers ? Quels sont les besoins réels des professionnels sur le terrain ? Comment imaginez-vous l’adaptation des métiers, dans le cadre de la transformation de la stratégie du système de soins ? Guy VALLANCIEN Dans un monde qui galope, nous piétinons et sommes des dinosaures. Les progrès technologiques sont constants et nous résistons, en termes d’organisation. Je suis donc inquiet. Sylvie FONLUPT Vous avez fait évoluer le métier des infirmiers en leur confiant des tâches robotiques. Quel bilan tirez-vous de ces expérimentations ? Guy VALLANCIEN Nous avons formé des infirmières du service, avec un an de formation complémentaire, pour qu’elles deviennent des assistantes en pathologie de la prostate. Elles réalisaient toutes les tâches, à l’instar de l’interne à l’hôpital, ce qui permettait au médecin de se concentrer sur l’essentiel. L’évaluation a montré que les malades acceptaient très bien cette organisation, qu’il n’y avait aucune morbidité aggravée et que le médecin gagnait 20 % du temps. Ce sujet a pourtant suscité de fortes résistances à cause de la tarification à l’acte. Des personnes deviendront des ingénieurs opérateurs. Si nous ne suivons pas le mouvement, nous courrons à notre perte. Sylvie FONLUPT Vous évoquez le transfert de tâches et non la coopération. Guy VALLANCIEN Ce transfert sera accompagné de la responsabilité, ce qui entraîne la résistance du médecin. Tous les métiers qui touchent au patient sont des professions médicales, à responsabilité variable, y compris l’aide-soignant. Sylvie FONTLUPT L’introduction de professions à compétences partielles, du fait de la transposition du droit européen, ne risque-t-il pas de créer une distorsion des compétences ? Exigera-t-on la même chose d’un professionnel partiel et d’un professionnel en pleine responsabilité ? Guy VALLANCIEN Non. La responsabilité dépendra de la formation. Le médecin ne peut tout englober et ne peut assumer toutes les tâches. Sylvie FONTLUPT Vous défendez l’idée de partager les tâches et de créer des professions intermédiaires. Jean-Paul ORTIZ Guy Vallancien a tort d’avoir raison trop tôt. Nous n’exercerons pas demain la médecine comme hier ou même aujourd’hui. Les contours des métiers vont évoluer, pour tous les acteurs de la chaîne. La méthode actuelle n’est toutefois pas adéquate. Le système est cloisonné. Quand le ministère négocie l’évolution des contours avec le Conseil national de l’Ordre des médecins et de l’Ordre des infirmiers, une seule partie des problématiques est prise en compte. Il faut tenir compte de la coordination, des transferts d’informations, des modes de financement de chaque acteur… Les médecins devraient effectivement se concentrer sur leur expertise médicale. Je préférerais que le médecin généraliste effectue moins d’actes, mais mieux payés. Ces mutations doivent être portées avec l’ensemble des représentations professionnelles et doivent être co-construites. Nous sommes effectivement tétanisés puisque nous accusons un certain retard. Il faut en outre restaurer une certaine confiance et celle-ci ne peut se décréter. Si nous prenons le temps, instaurons un dialogue et co-construisons, nous pourrons évoluer. Je ne suis pas inquiet, car, sur le terrain, les professionnels font évoluer leur système, ensemble, particulièrement en ville. Sylvie FONTLUPT Les perspectives de carrière manquent en ville. Comment concevez-vous ces évolutions en libéral ? Une infirmière peut devenir cadre, dans le cadre hospitalier. Jean-Paul ORTIZ Il est difficile d’évoluer dans son métier, en milieu libéral. Il est impossible à une infirmière libérale de suivre un master de deux ans. Les évolutions de carrière des professionnels libéraux ne pourront s’organiser si nous restons à l’échelon d’un exercice isolé ou en groupe très restreint. Avec une structuration en entreprise libérale territoriale de soin ambulatoire, à l’instar des cabinets d’avocats, les activités pourraient évoluer. Nous devrions alors nous positionner comme de véritables entrepreneurs. Nous démontrerons alors notre efficience et nous concentrerons sur nos cœurs de métier. En signant des contrats d’objectifs et de moyens à l’échelon d’un territoire et en nous regroupant, nous gagnerons en force. Guy VALLANCIEN Il faudra effectivement travailler systématiquement en groupe. Cette organisation du business permettra à certains de se former pendant six mois. Les maisons de santé sont des hubs sanitaires qui représentent l’avenir. Les médecins ne peuvent plus rester seuls. Tous les malades nous adressent actuellement des dossiers entiers par Internet. Or, le point en construction risque d’être très complexe, sous prétexte de protection des données. Tous les professionnels doivent travailler ensemble, dans des unités de base. Sylvie FONTLUPT Certains craignent que les soignants soient supplantés par les algorithmes. Guy VALLANCIEN L’IA réalisera des diagnostics, mais les patients continueront à voir les vrais médecins. Nous nous libérerons alors de tout ce qui nous empêche d’être en relation. Jean-Paul ORTIZ L’IA bouleversera les conditions d’exercice de la médecine. Les relations humaines sont au cœur de notre métier. Le contact, la confiance et l’échange entre le patient et le professionnel de santé ne seront toutefois pas remplacés par l’IA. Nous aurons plus de temps pour écouter et accompagner les patients, grâce au temps libéré par l’IA. L’enjeu est de convaincre le patient d’adhérer au parcours thérapeutique défini. Je suis enthousiaste face à cette évolution puisque l’empathie reprendra la main sur la technologie et sur la science. Yves MATILLON Un point n’a pas du tout été évoqué : la manière dont le droit français clive le système de santé. L’ostéopathie a été reconnue en 2001, hors professions de santé. Connaissez-vous le salaire d’une infirmière débutante en pratique avancée aux Etats-Unis ? Entre 80 et 110 000 dollars par an. Philippe VERMESCH Les avocats n’ont pas de tarifs réglementés, contrairement à nous. L’acte est le fondement du libéral. Comment faire ? Guy VALLANCIEN Avec la responsabilité de prendre les décisions les plus lourdes, que ne prendront ni les autres professionnels ni les machines, les actes seront mieux rémunérés, mais aussi plus rares. Il faut 30 % de médecins en moins. Il convient d’accompagner ce mouvement de la dépénalisation de l’erreur. Soyons moins nombreux, excellents, et plus chers. << 3/5 : Article précédent Article suivant : 5/5 >>