Intervenants : Dominique POLTON : Conseillère auprès du Directeur général de la CNAMTS Gérard RAYMOND : Secrétaire général de la Fédération Française des Diabétiques Serge COIMBRA : Président de la FNP Doniphan HAMMER : Président de la commission de formation et d’implantation professionnelles CNSD Stéphane MICHEL : Président du SNMKR Jean-Paul ORTIZ : Président de la CSMF Philippe TISSERAND : Président de la FNI Philippe GAERTNER : Président du CNPS Pierre-Yves POINDRON : animateur de la table ronde Nous avons examiné ce matin l’offre globale de soins, constatant que le problème était lié à l’arrivée de diplômes étrangers. La féminisation ne constitue pas un problème puisque les professionnelles n’ont pas un comportement différent. Nous parlerons lors de cette table ronde de la répartition des professionnels. La Cour des comptes a rendu un rapport qui consacre deux chapitres au sujet. Selon la Cour des comptes, l’accroissement des dépenses en soins infirmiers et de kinésithérapie est lié à la densité de professionnelle et à la consommation de soins et non aux pathologies de la population. L’évolution de ces effectifs de ces professions n’a pas été maîtrisée, selon la Cour des comptes. La Cour relève un écart démographique important, dans certains départements, allant de 1 à 5 pour les infirmiers et de 1 à 3 pour les kinésithérapeutes. Pouvons-nous parler d’inégalités criantes d’accès aux soins ? Gérard RAYMOND, Secrétaire général de la Fédération Française des Diabétiques : Nous avons bénéficié d’un système de soins extrêmement généreux pour les patients et pour les professionnels de santé. Depuis, le monde a évolué : cette générosité est désormais plus restreinte et le système plus contraint. Les patients rencontrent des difficultés dans les déserts médicaux. Toutes les parties doivent réfléchir à une meilleure organisation. La fédération française des diabétiques considère que les déserts médicaux relèvent d’un manque total d’organisation du système de soins. Le patient se retrouve démuni pour coordonner lui-même les soins et le projet médical de proximité. Pierre-Yves POINDRON : Le problème est davantage qualitatif que quantitatif. Il existe tout de même un problème de répartition des professionnels. Certaines professions régulent elles-mêmes les effectifs. Philippe TISSERAND, Président de la FNI : En 2007, les écarts relevés par la Cour des comptes existaient déjà. Des négociations conventionnelles ont donc débuté avec les quatre syndicats infirmiers. En 2012, il y avait 52 000 infirmières libérales contre 95 000 maintenant. Il n’existe pas de pénurie pour cette profession. Dans certaines régions, moins bien dotées, nous avons mis en place un système incitatif qui a poussé certains professionnels à s’installer. A l’inverse, nous avons fermé le conventionnement dans les régions surdotées. Notre dispositif visait à restaurer un équilibre au niveau infraterritorial. La profession, attachée au système conventionnel, préférait que ces dispositions soient inscrites dans la convention. Nous avons expérimenté ce dispositif pendant deux ans avant de le généraliser. Depuis 2008, le nombre de professionnels a été stabilisé, dans les zones les plus denses, ce qui s’avère satisfaisant. Le rapport de la Cour des comptes me semble orienté et relève d’une position dogmatique. Il amalgame le système des infirmiers, évalué et pérennisé, avec celui des masseurs-kinésithérapeutes qui a été retoqué par le Conseil d’Etat et n’a jamais été mis en œuvre. Le virage ambulatoire est engagé depuis 20 ans. Dans les zones où la densité d’infirmiers est élevée, la durée moyenne d’hospitalisation a en revanche été réduite. Pierre-Yves POINDRON : Stéphane Michel, vous avez quelques réserves sur les modalités de la régulation. Stéphane MICHEL, président de l’UNSMKL : Nous ne sommes pas opposés au système de régulation, mais aux critères, raison pour laquelle nous n’avons pas signé l’avenant 3. Le Conseil d’Etat a retoqué la partie relative aux zones surdotées pour des questions de forme. Nous ne nous sommes jamais opposés à la discussion avec l’Assurance maladie. La démographie est non régulée. Se pose le problème de l’arrivée massive de diplômés communautaires, avec 1 800 arrivées par an, dont 900 Français. Ces diplômés s’installent plutôt en zones denses. Ces arrivées s’ajoutent aux 2 400 diplômés. Pierre-Yves POINDRON : Dominique Polton, partagez-vous les critiques de la Cour des comptes ? Dominique POLTON, Conseillère auprès du Directeur général de la CNAMTS : Non. Mon directeur général a d’ailleurs répondu à la Cour des comptes qu’il ne partageait pas son constat. Les besoins démographiques sont difficiles à estimer. Les afflux de médecins à diplôme non français, par contournement du numerus clausus ou du fait de la libre circulation des médecins étrangers, rendent les projections difficiles. L’absence de maîtrise des effectifs globaux peut avoir des conséquences négatives. L’Assurance maladie considère que le levier conventionnel constitue la meilleure solution. La co-construction facilite l’acceptation. Ce levier permet d’obtenir de bons résultats. Année après année, la situation évolue. L’homogénéité de la répartition des infirmiers est désormais bien plus satisfaisante, car les écarts entre bassins de vie se réduisent. Une vision à long terme permet d’obtenir des résultats. Chaque profession est confrontée à des défis différents. Ainsi, des zones se trouvent en tension en médecine générale. Le phénomène est difficile à anticiper, car il faudrait intégrer les départs en retraite. La priorité consiste donc à inciter à l’installation pour la médecine générale, plutôt qu’à freiner les installations en zones plus denses. Les systèmes rendant le service aux populations doivent être privilégiés, avec des méthodes réactives. Les incitations doivent rendre l’exercice attractif. Pierre-Yves POINDRON : Le problème du numerus clausus est typiquement européen. Les médecins ont des dispositifs incitatifs et non contraignants. Jean-Paul ORTIZ, Président de la CSMF : Il faut s’interroger pour savoir dans quels endroits la répartition des médecins est problématique. Quand les services publics quittent un territoire, ce dernier n’est pas très attractif non plus pour les médecins. Le problème de répartition se pose dans les territoires ruraux, mais aussi dans certains quartiers urbains. Des spécialités entières disparaissent en médecine libérale : la pédiatrie, la rhumatologie, la psychiatrie… Nos édiles et nos collectivités locales doivent arrêter de rêver d’avoir un médecin dans chaque village de 500 habitants. Ce modèle était celui de la médecine balzacienne. Les habitants peuvent parcourir quelques kilomètres pour consulter. L’exercice médical se fera en équipe, de la même discipline ou profession, mais aussi en inter-professionnalité. Le maillage territorial sera différent de celui du XXème siècle. La coercition, tentée dans de nombreux pays européens, a échoué. Un panel de mesures doit être proposé pour inciter les jeunes médecins à s’installer dans une pratique libérale différente, avec un travail en équipe, en coordination. La Cour des comptes n’a pas le même rapport aux temps que nous : comme les politiques, elle veut obtenir un résultat immédiat. Or, il faut donner du temps aux différentes mesures. Quand un étudiant en deuxième année signe un CESP, il mettra 10 ans à s’installer. Les professionnels s’organisent pour maintenir une offre de soin. Le cumul emploi-retraite a considérablement augmenté chez les médecins de 65 ans, ce qui a permis de résoudre un nombre important de difficultés. Pierre-Yves POINDRON : Doniphan Hammer, j’ai cru comprendre que vous étiez plutôt favorable à un conventionnement sélectif à l’installation. Doniphan HAMMER, Président de la commission de formation et d’implantation professionnelles CNSD : Une mesure coercitive n’est pas antinomique avec une mesure incitative. Un ensemble de solutions doit être proposé. Nous n’avons que 16 universités de formation. Les étudiants s’installent dans le périmètre de leur centre de formation, ce qui créer une première inégalité. Quatre nouveaux chirurgiens-dentistes sur 10 inscrits à l’Ordre ont des diplômes étrangers. Certains s’installent dans les zones surdotées. Les cabinets sont également confrontés à la concurrence. Une mesure conventionnelle n’est pas constitutionnelle. Une telle mesure peut être appliquée pour une durée expérimentale. Nous devons réguler l’installation. Pierre-Yves POINDRON : Un conventionnement sélectif permettra-t-il de privilégier l’installation dans les zones sous-dotées ? Doniphan HAMMER : Les infirmiers prévoient un remplacement pour un départ en retraite dans les zones surdotées. Nous pouvons opter pour un système similaire ou nous montrer plus coercitifs, en arrêtant tout conventionnement dans certaines zones. Les partenaires conventionnels doivent définir le cadre de ce conventionnement sélectif. Serge COIMBRA, Président de la FNP : Nous ne coûtons rien à l’assurance maladie car notre activité conventionnée est réduite à deux actes inscrits à la nomenclature. De ce fait, la question d’un conventionnement sélectif ne se pose pas pour la profession. Nous nous interrogeons toutefois sur une régulation. Onze instituts, majoritairement à but lucratif, dispensent la formation initiale. Si nous continuons ainsi, sachant qu’un jeune diplômé sur cinq provient de l’Union Européenne, en 2023, selon les projections ordinales, la profession se retrouvera paupérisée.. La Pologne prévoit d’ouvrir un institut de formation en podologie avec des enseignants français et les régions ont compétence pour créer des instituts d’enseignement, certaines pour des raisons politiques, ce qui risque d’aggraver la situation. Nous réclamons donc un quota à l’entrée de la formation. Pierre-Yves POINDRON : Les quotas permettront-ils de résoudre le problème que rencontrent les professions de contournement du numerus clausus ? Serge COIMBRA : Oui, à l’identique d’autres professions, nous rencontrons effectivement ce problème. Pierre-Yves POINDRON : Les pharmaciens rencontrent-ils ce problème de désertification ? Philippe GAERTNER, Président du CNPS : La règle qui prévaut dans notre profession repose sur une répartition en fonction de la population. Depuis 1999, la réglementation supprime les dérogations possibles. Il convenait effectivement de maintenir un équilibre entre un accès de proximité et une réalité économique d’entreprise. Une pharmacie dépend effectivement de l’activité des autres professions médicales, particulièrement des médecins. Lorsqu’un médecin quitte un territoire, la pharmacie risque de fermer. Les maisons de santé correspondent souvent à des territoires qui comprennent plusieurs officines. Elles aspirent les professionnels tout en étant soutenues par les élus locaux comme par l’administration centrale. Un déséquilibre s’instaure alors entre la pharmacie située à proximité de la maison de santé et les autres pharmacies du territoire. Les habitants des villages environnants doivent parcourir davantage de kilomètres pour accéder à la maison de santé et risquent en outre de voir leur pharmacie fermer, faute d’activité. Un quart de la population française habite dans une commune de moins de 2 500 habitants. Pierre-Yves POINDRON : Vous dites que le regroupement des professionnels de santé ne constitue pas la seule solution. Gérard RAYMOND : Le problème est complexe. La réflexion doit associer les professionnels et les patients pour intégrer les besoins et les attentes de ces derniers. L’intelligence humaine permettra de trouver des solutions. Des professionnels de santé trouvent des solutions, dans les villages de l’Ariège. Les acteurs concernés doivent prendre des initiatives et définir le projet médical, tout en acceptant de faire des concessions. Tout projet médical devrait comporter l’éducation thérapeutique et l’accompagnement du patient, ainsi que la prévention. Les actes ne doivent pas être les seuls points valorisés. Pierre-Yves POINDRON : Il semble urgent que les professionnels s’organisent. Philippe TISSERAND : Les projets et les solutions existent. Tous les acteurs appellent à une réforme du système. J’ai entendu, dans un colloque, le directeur de l’IRDES, dire que la pénurie médicale est une chance pour réformer le système, mais qu’elle risquait de ne pas durer. Peut-être même faudrait-il l’entretenir. Nos initiatives sont condamnées à être récupérées ou critiquées. La FNI a une position tranchée sur les maisons de santé, considérant qu’elles orientent vers le salariat. Si une mairie met à disposition un local, il est possible de travailler ensemble et de répondre à un besoin de population en créant une association loi 1901 pour payer un loyer à la mairie. Jean-Paul ORTIZ, Président de la CSMF : Les maisons de santé pluriprofessionnelles constituent un exemple et ne doivent pas être un modèle unique et dogmatique. Les pôles de santé ne requièrent pas un regroupement physique, mais plutôt une coordination des professionnels de santé. Des efforts doivent être accomplis en matière d’organisation, de transmission de l’information et de missions. Les maisons de santé pluriprofessionnelles permettent aux professionnels de santé libéraux d’assumer des missions de service public mal couvertes : éducation thérapeutique, prévention… Les libéraux doivent s’organiser et devenir des entrepreneurs de l’offre de soin, en contractualisant avec les ARS. Si les libéraux ne s’organisent pas, d’autres le feront : l’hôpital public, l’hôpital privé ou les organismes complémentaires. Les ENMR permettent de rémunérer une équipe, en fonction de l’implication de chacun. Dominique POLTON : Le règlement arbitral constitue une autre solution. Les rémunérations sont mixtes dans de nombreux pays, car il s’avère difficile de tout rémunérer à l’acte. Les maisons de santé sont effectivement un modèle parmi d’autres. Stéphane MICHEL, président de l’UNSMKL : Le modèle économique des kinésithérapeutes repose sur la prescription médicale. Il semble inopportun d’installer des kinésithérapeutes dans des zones sous-dotées, sans la sécurité juridique de la présence du médecin dans la zone, raison pour laquelle nous plaidons pour d’autres solutions telles que l’accès direct qui génère d’importantes économies pour l’assurance maladie. Dans les zones surdotées, l’activité des confrères déjà installés doit être sécurisée. Un participant, Président du syndicat des audioprothésistes : UFC-Que choisir vient de publier un rapport instrumentalisé par la société Santéclair. Il semble problématique que certains acteurs complémentaires adoptent de tels comportements. Je préfère un mauvais accord avec l’AMO à un bon avec l’AMC. Un participant, CDPS 45 : Je crains que nos propos soient caducs dans cinq ans puisque nous gérerons plutôt le trop-plein que le manque. Il y a dix ans, 1 000 kinésithérapeutes nouvellement diplômés arrivaient chaque année, contre 4 000 aujourd'hui. Doniphan HAMMER : Le problème doit être traité au niveau européen. Certains pays forment de nombreux professionnels de santé qui quittent ensuite le territoire. Une réflexion porte, au niveau européen, sur un numerus clausus de formation standardisé. Nous pouvons aussi imaginer des périodes probatoires. Un pays membre formant pourrait ainsi obliger les professionnels formés à travailler sur son territoire pendant un ou deux ans. Pierre-Yves POINDRON : Est-il envisageable de revoir certains critères ? Doniphan HAMMER : Pour les professions réglementées, la reconnaissance mutuelle est obligatoire. La directive a été révisée et précise le nombre d’heures de formations et le nombre d’années de formation. Le point est plus compliqué pour évaluer la qualité de la formation. Les ministres des pays membres doivent demander la révision de l’annexe. Catherine MOJAÏSKY, Présidente de la CNSD : Tous les critères conventionnels et dispositifs incitatifs mis en place dans l’avenant de 2012 se heurtent à la différenciation des zonages et à la rapidité de changement des zonages. Les zonages ARS et Assurance maladie diffèrent. Les prochaines négociations devront intégrer la nécessité d’adapter les zonages à la réalité des situations pour une meilleure fluidité << 4/5 : Article précédent