Intervenants : Anne-Marie BROCAS : Présidente de la FNP Achille HOURDÉ : Maire de Jaignes, Vice-président de l’Association des maires ruraux Philippe VERMESCH : Président du Syndicat des médecins libéraux Gérard RAYMOND : Association française des diabétiques Yannick FREZET : Syndicat des jeunes médecins Ayden TAJAHMADY : Adjoint du Directeur de la Stratégie, des études et des statistiques de la CNAMTS La table ronde est animée par Sylvie FONTLUPT. Sylvie FONTLUPT : Quels messages souhaitez-vous faire passer aux pouvoirs publics avec le rapport duHCAAM ? Anne-Marie BROCAS : Nous avons considéré que les innovations technologiques et organisationnelles étaient indissociables. Notre réflexion a été plus complexe et plus ambitieuse. Elle se place en outre dans une perspective historique longue, avec la volonté de se projeter à 10 ou 15 ans. Notre système de santé est extrêmement stable dans sa structure globale. Sa tendance naturelle est de renforcer la concentration des moyens. Il existe en outre une distance assez grande entre les intentions affichées d’un virage ambulatoire et les réalités que nous pouvons constater. Pour faire évoluer notre système de santé, il est nécessaire de mobiliser des leviers stratégiques, dont la formation. Les réflexions devraient porter sur les compétences mais également sur le rôle des différentes professions les uns par rapport aux autres. Le rapport de l’HCAAM préconise de laisser des marges de manœuvre aux acteurs dans les territoires. Les collectivités territoriales doivent pouvoir jouer un rôle et participer à une co-construction. Sylvie FONTLUPT : Il existe un consensus sur la nécessité d’innover et de transformer notre système de santé. Avez-vous le sentiment d’avoir été entendus par les pouvoirs publics ? Anne-Marie BROCAS : Il me semble que des évolutions structurantes sont engagées. Le processus d’universitarisation des professions paramédicales constitue notamment une avancée importante. L’accent mis sur le numérique est aussi positif. A un moment, nous aurons toutefois besoin d’une clarification collective. Nous observons un foisonnement d’initiatives mais il faudra opérer une simplification et faire des choix, notamment en ce qui concerne les outils informatiques. Yannick FREZET : Il faut que tous les professionnels puissent travailler ensemble et que le suivi des patients puisse être assuré. Or nous n’avons toujours pas de DMP ou d’interfaces. Beaucoup initiatives existent sur les territoires, notamment grâce aux URPS, mais elles ne sont pas globales et ne permettent pas encore une vraie coordination. Il faut aussi avoir à l’esprit que certains territoires restent des zones blanches, où l’accès à internet est un problème. Sylvie FONTLUPT : Vous avez été auditionné par le rapporteur du PLFSS et sur le fameux article 35, qui devrait libérer les expérimentations. Philippe VERMESCH : Certaines évolutions sont positives mais les médecins sont peu associés à l’évaluation des expérimentations. Ayden TAJAHMADY : Nous nous intéressons aux innovations organisationnelles. Notre objectif est d’accélérer le processus pour réduire les délais avant une éventuelle généralisation. Aujourd’hui, la réglementation n’est pas adaptée. Elle ne permet pas de prendre en compte des évolutions sans créer des dispositifs nouveaux. Nous devons donc travailler sur le sujet. La démarche sera évidemment partenariale, avec les professionnels et les usagers. Nous souhaitons toutefois que les expérimentations commencent rapidement, avant la fin 2018. Sylvie FONTLUPT : Pensez-vous que les innovations pourront être opérationnelles plus rapidement ? Les associations de patients avaient beaucoup freiné sur le DMP. En sera-t-il de même ? Gérard RAYMOND : Nous demandions des garanties. Le contexte a toutefois évolué. Nous sommes persuadés de la nécessité de faire évoluer le système de santé et lui permettre d’être plus efficient. Beaucoup d’expérimentations ont déjà été mises en œuvre mais un nouveau cycle semble s’engager. Nous voulons y être associés, dans une relation de confiance et autour d’objectifs communs. Sylvie FONTLUPT : Quel est le point de vue d’un élu local ? Achille HOURDÉ : Il me semble qu’une dynamique s’organise. Les élus locaux doivent jouer un rôle de relais. L’expérience montre que toutes les initiatives nées des professionnels de santé sont des succès. En revanche, les projets qui sont imposés fonctionnent rarement. L’Association des maires ruraux a formulé 150 propositions pour accompagner les professionnels de santé. Les pistes sont extrêmement nombreuses, pour ceux qui sont déjà installés, pour les jeunes qui achèvent leurs études, etc. Il est important d’accompagner la constitution de réseaux, qui irrigueront ensuite nos territoires. Sylvie FONTLUPT : Le mode de rémunération constitue un frein. Le HCAAM enjoint à prendre en compte l’épisode de soins, afin de permettre une autre organisation. Anne-Marie BROCAS : Les aspects financiers sont évidemment majeurs. Aujourd’hui, la gradation des soins est globalement répartie entre la ville et l’hôpital en fonction de la gravité. La structuration pourrait être différente, avec, pour chaque niveau, des acteurs de ces deux secteurs. Si nous voulons que le virage ambulatoire devienne une réalité, nous devons envisager ainsi le futur système. Des réflexions seront nécessaires sur les statuts et les conditions d’exercice des professions. En ce qui concerne la rémunération, nous devrons sortir du cloisonnement actuel. Dans une rémunération en parcours ou en épisode de soins, l’enjeu est évidemment de savoir qui gèrera l’enveloppe globale. Néanmoins, je ne pense pas que la tarification puisse faire émerger des formes d’organisation. A l’inverse, son absence peut être un frein à de nouveaux modes de fonctionnement. Le mouvement doit donc être simultané. Sylvie FONTLUPT : L’Assurance maladie semble favorable à l’expérimentation d’une rémunération à l’épisode de soins. Ayden TAJAHMADY : La tarification peut envoyer des signaux ou lever des barrières. Nous nous sommes inspirés de modèles étrangers, notamment suédois, et de ce qui existe en France mais qui peine à se développer. Sylvie FONTLUPT : Qui gèrera les enveloppes ? Ayden TAJAHMADY : Plusieurs acteurs sont envisageables en fonction du processus de soins considéré. Philippe VERMESCH : La Suède offre un autre modèle, puisque les médecins sont des salariés. Ayden TAJAHMADY : Nous sommes bien conscients qu’une transposition à l’identique n’est pas possible. Nous souhaitons seulement nous inspirer d’autres initiatives et les expérimenter. Si elles fonctionnent, nous les généraliserons. Sinon, nous les abandonnerons. Yannick FREZET : Pour le moment, les exemples donnés sont souvent la chirurgie, où le nombre d’intervenants est assez réduit. Sur des pathologies chroniques comme le diabète, le schéma peut être beaucoup plus complexe. Qui réalisera les évaluations des expérimentations mises en place ? Anne-Marie BROCAS : Aujourd’hui, la structure de rémunération n’est pas adaptée à un certain nombre de situations, notamment dans les pathologies chroniques. Elle ne permet pas une approche pluridisciplinaire. Sans aller jusqu’à un forfait global, nous avons d’importantes marges de progression. Sylvie FONTLUPT : Pourrait-il y avoir un impact sur les comportements des patients et remettre en cause le nomadisme médical ? Gérard RAYMOND : Nous devons avancer progressivement, en fonction des pathologies. Nous ne supprimerons pas la rémunération à l’acte mais nous pouvons néanmoins faire évoluer le système. La responsabilisation des patients peut aussi être une piste pour améliorer l’efficience globale. Il faut tester des dispositifs et les évaluer. Sylvie FONTLUPT : Les innovations pourraient permettre de reconquérir le temps médical qui fait aujourd’hui défaut aux professionnels de santé. Quel peut être l’action de l’Assurance maladie dans ce domaine ? Ayden TAJAHMADY : Les nouvelles formes d’organisation peuvent être une forme de réponse, en permettant à chacun de se concentrer sur leur cœur de métier. Nous devons aussi nous appuyer sur les outils digitaux. Philippe VERMESCH : L’accès aux médecins est de plus en plus compliqué. Il faut donc libérer du temps médical. L’assistance d’un secrétariat me semble indispensable et beaucoup plus efficace que des outils mais il n’est pas envisageable d’embaucher avec les tarifs actuels. Des forfaits de structure pourraient être mis en place. Evidemment, ils supposeraient une volonté politique. Yannick FREZET : Des assistants médicaux pourraient effectivement nous décharger d’un certain nombre de tâches. Il faut repenser à la fois la structuration territoriale et l’organisation de nos cabinets. Gérard RAYMOND : Des évolutions sont possibles avec les outils qui existent actuellement. De nouveaux métiers sont peut-être nécessaires mais la responsabilisation des patients pourrait déjà avoir un impact, par exemple avec la transmission de données de santé permettant d’espacer les consultations. Du temps médical pourrait ainsi être libéré. Sylvie FONTLUPT : Qu’attendez-vous en tant que maire rural ? Achille HOURDÉ : Nous avons constaté qu’un certain nombre de territoires ne sont pas accueillants pour les médecins. Ils veulent des services. Nous devons reconstruire notre attractivité, notamment en faisant revenir des emplois localement. Imposer un lieu d’installation aux professionnels qui finissent leurs études n’est en rien une solution. De la salle, gériatre : Je vais vous parler de mon expérience. Dans mon entourage, certains médecins voient de 40 à 60 patients par jour. Ils font parfois des ordonnances pour un an pour essayer de diminuer les flux. Yannick FREZET : Beaucoup de consultations n’ont aucun intérêt. Une étude menée en Hollande a montré que la proportion était d’une sur deux. Nous devons travailler aussi sur l’éducation des patients. Ayden TAJAHMADY : Le développement du télésuivi pourrait permettre de réduire les consultations, en les ciblant davantage. De la salle, podologue : Nous sommes parfois obligés de recourir aux médecins traitants pour que nos prescriptions soient remboursées. Philippe VERMESCH : Je ne pense pas que l’intervention des médecins soit très pertinente dans ce cas. Le développement de la coordination est essentiel mais l’ACIP est malheureusement bloqué. Yannick FREZET : Je suis tout à fait favorable à la délégation de tâches dès qu’elle est encadrée. Philippe VERMESCH : Les médecins doivent néanmoins rester le pivot du suivi. Il peut également y avoir des conséquences sur la rémunération. Il ne faudrait pas que les médecins se voient confier uniquement les actes les plus complexes. Ayden TAJAHMADY : Les coopérations interprofessionnelles existent depuis 2009 mais se sont peu développées. Nous devons revoir les organisations de manière globale pour être plus efficaces et moins perdre de temps. Le temps médical est rare mais celui des patients qui ont une activité professionnelle aussi. Anne-Marie BROCAS : Nous avons un problème de représentation collective et de connaissance mutuelle des compétences des uns et des autres. Pour ma part, je ne suis pas favorable au terme de délégation de tâches, car nous savons que les coopérations pluriprofessionnelles aboutissent généralement à une évolution de leur répartition entre les professionnels. De la salle, chirurgien-dentiste : Travailler sur l’attractivité des territoires est essentiel. Les jeunes diplômés ont des conjoints qui doivent aussi trouver un emploi, ce qui n’est possible que s’ils logent dans la grande ville voisine. Les déserts que nous connaissons actuellement ont été créés. Achille HOURDÉ : Nous essayons de recréer de l’emploi localement. De la salle, pharmacien : Il faudrait que l’Assurance maladie apprenne à faire confiance aux professionnels de santé. Pourquoi ne pouvons-nous pas prescrire des substituts nicotiniques ? Ayden TAJAHMADY : Nous devons faire des expérimentations et travailler ensemble. La démarche de confiance est effectivement essentielle. << 4/5 : Article précédent