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Intervenants :

  • Nathalie FOURCADE : Sous-directrice de l’observation de la santé et de l’assurance maladie, administratrice hc de l’INSEE
  • Marie-Anne FRANÇOIS : Présidente de la CARPIMKO, Vice-Présidente de la CNAVPL
  • Patrick ROMESTAING : Vice-Président de l’Ordre des Médecins
  • François BLANCHECOTTE : Président du SDB
  • Catherine MOJAÏSKY : Président de la CNSD

La table ronde est animée par Renaud DEGAS

Nathalie FOURCADE, Sous-directrice de l’observation de la santé et de l’assurance maladie, administratrice hc de l’INSEE :
Je vous présenterai une évolution comparée de la démographie de la population et des professionnels de santé.

La population française vieillit, ce qui impacte la demande de soins du fait d’une augmentation de l’espérance de vie et de l’arrivée à l’âge de la retraite de la génération issue du « baby-boom ». Les plus de 65 ans représentent désormais 18 % de la population, pourcentage qui a augmenté de trois points en 20 ans. La génération des plus de 75 ans augmentera prochainement. Or, 40 % de cette population souffre d’au moins deux pathologies chroniques et la moitié consomme régulièrement 7 molécules médicamenteuses. La population des plus de 70 ans a deux fois plus recours aux soins généralistes que le reste de la population, sept fois plus recours aux soins de kinésithérapie et 13 fois plus recours aux soins infirmiers.

Les projections montrent que le nombre de personnes âgées dépendantes augmentera fortement à compter de 2030. La France compte actuellement 1,2 million de personnes dépendantes.

La démographie des professionnels de santé varie selon les professions. La population des infirmiers a fortement augmenté au cours des dernières décennies. Elle est relativement jeune (avec un âge moyen de 40 ans) et féminine. 9 infirmiers sur 10 sont des salariés. Les quotas de formation ont doublé depuis le début des années 1990. La France compte 610 000 infirmiers. La densité augmente. Les projections montrent une évolution de la population et de la densité, sauf lorsque le nombre d’infirmiers est rapporté à la part de la population âgée de plus de 75 ans.

La France compte 80 000 masseurs-kinésithérapeutes et 200 000 professionnels de la rééducation. Plus d’un tiers des nouveaux diplômés le sont à l’étranger, depuis 2003. Plus de la moitié de ces diplômés à l’étranger sont français.

La pyramide des âges des masseurs-kinésithérapeutes montre une population jeune. Les orthophonistes et les orthoptistes sont des populations très féminines et jeunes, comme les autres professionnels de la rééducation.

La pyramide des âges des médecins connaît une évolution très forte entre 1990 et 2012, du fait de la baisse du numerus clausus. L’âge moyen est passé de 40 à 52 ans. La féminisation progresse de 11 points dans la période. Une baisse des effectifs de médecins était prévue à partir de 2005, suivie d’une augmentation liée à la remontée du numerus clausus. Une déformation de la pyramide des âges est anticipée. Les moins de 45 ans deviendraient majoritaires en 2025 et l’âge moyen passerait de 52 ans à 45,5 ans. La baisse projetée en 2010 n’a toutefois pas été observée, sauf pour les médecins généralistes libéraux. Cette absence de baisse s’explique par l’arrivée de médecins diplômés à l’étranger et par des départs en retraite plus tardifs. De nombreux médecins pratiquent le cumul emploi-retraite.

Les chirurgiens-dentistes voient leur densité augmenter jusqu’aux années 2000 puis baisser dans les années 2000. Les effectifs s’établissent à 41 500. 90 % de ces chirurgiens-dentistes sont libéraux et 42 % sont des femmes. L’âge moyen s’élève à 48 ans. Les projections montrent une augmentation du nombre de dentistes par rapport aux projections.

La France compte 74 300 pharmaciens. Le numerus clausus a augmenté dans les années 2000 et la population devrait donc rajeunir. La densité de pharmaciens devrait continuer à augmenter.

Les 21 000 sages-femmes sont une population très jeune et très féminine.

Une carte montre la répartition des 8 millions de personnes âgées de 70 ans et plus qui habitent plutôt dans les régions rurales.

Renaud DEGAS :
Je vous propose de réagir aux chiffres présentés, en abordant les conséquences sur l’exercice de votre profession et les réponses aux besoins de santé des patients.

Les médecins sont fortement impactés par le vieillissement. Quelles sont vos observations ?

Patrick ROMESTAING, Vice-Président de l’Ordre des Médecins :
L’Ordre dispose de chiffres très proches de la réalité puisque les médecins doivent être inscrits à l’Ordre pour exercer. La génération du baby-boom arrive à l’âge de la retraite. Avec un peu moins de 200 000 médecins en activité régulière, la France n’a jamais compté autant de médecins. 45 % des médecins sont des femmes. Les jeunes médecins, hommes comme femmes, souhaitent moins travailler. Un nombre important de médecins continue à exercer après avoir atteint l’âge de la retraite. Ainsi, sur 65 000 médecins retraités, 10 000 continuent à exercer. Nous ignorons le nombre de médecins étrangers qui viendront travailler en France ou le nombre de jeunes Français qui iront passer leur diplôme à l’étranger et reviendront travailler en France. Ainsi, il y a quelques années, l’université de Cluj en Roumanie comptait 30 étudiants francophones. Actuellement, Cluj compte 100 étudiants français par promotion.

Renaud DEGAS :
Catherine MOJAÏSKY, votre profession est celle qui rajeunit le plus.

Catherine MOJAÏSKY, Président de la SNCD :
Nous menons chaque année une étude sur les évolutions qui nous réserve de grandes surprises. En 2007, une étude prévoyait qu’il y aurait 28 000 chirurgiens-dentistes en 2013. Les prévisions se sont avérées incohérentes. Le nombre de praticiens en activité de 60 ans et plus augmente constamment, ainsi que celle des praticiens de 80 ans et plus puisque nous comptons 39 praticiens de 80 ans et plus.

Nous avons travaillé avec l’assurance maladie pour mettre en place des dispositions conventionnelles. L’assurance maladie étudie la densité professionnelle en fonction des équivalents temps plein.

La liberté de circulation instaurée par l’Europe, qui vaut pour cette profession, a conduit à une explosion du nombre de chirurgiens-dentistes diplômés à l’étranger. Nous n’avons plus de représentants roumains dans les instances européennes, alors que la Roumanie forme de nombreux étudiants français. Nous ne disposons d’aucune visibilité sur ces formations. Il semblerait que les praticiens ne bénéficient d’aucune formation clinique, sur les patients, avant d’être diplômés. Ce point risque de poser un problème de santé publique.

Sur 1 400 nouveaux inscrits à l’ordre, en 2013, 400 avaient un diplôme étranger. La moyenne d’âge de la profession diminue progressivement, sachant qu’elle était de 48,5 ans en 2013.

En dentaire, le besoin de soins est méconnu. Le vieillissement de la population impactera certainement la demande de soins. De nombreux soins ne sont pas pris en charge par l’assurance maladie. Des études doivent être menées pour adapter la répartition.

Renaud DEGAS :
Les professions de la CARPIMKO rajeunissent plutôt.

Marie-Anne FRANÇOIS, Présidente de la CARPIMKO, Vice-Présidente de la CNAVPL :
Les chiffres comportent les populations libérales et salariées. Un essor démographique est observé, avec une moyenne d’âge des libéraux de 43 ans. 7 000 à 8 000  nouveaux professionnels relèvent chaque année de la CARPIMKO.

Le cumul emploi-retraite reste faible. Il est plus élevé chez les masseurs-kinésithérapeutes que pour les autres professions.

Renaud DEGAS :
Les professions de la CARPIMKO sont fortement sollicitées dans le cadre du vieillissement de la population.

Marie-Anne FRANÇOIS :
Nous observons des tensions sur tous les territoires, avec des difficultés pour trouver des remplaçants, notamment lorsque les femmes sont en congé maternité, particulièrement dans certains territoires, des cabinets avec des listes d’attente… Nous ne connaissons toutefois pas les besoins réels de soins.

Renaud DEGAS :
Le vieillissement pose-t-il problème sur le plan des retraites ?

Marie-Anne FRANÇOIS :
Non, le taux de cotisants s’élève à 3,57. Aucun problème ne se pose sur notre régime complémentaire. Nous contribuons plutôt aux autres régimes libéraux.

Renaud DEGAS :
François Blanchecotte, vous avez un sujet de transmission entre les anciens et les nouveaux.

François BLANCHECOTTE, Président du SDB :
La biologie relève de deux professions (médecins et pharmaciens). Les médecins biologistes sont peu nombreux dans certaines régions. Les pharmaciens biologistes sont plus nombreux. La question du statut se pose puisque de nombreuses structures proposent un salariat et qu’un nouveau statut émerge avec le TNS ultra-minoritaire, sans part sociale.

Pour la reconnaissance des qualifications, dix pays doivent se mettre d’accord. Notre pays est attractif pour les médecins étrangers qui doivent toutefois franchir l’obstacle de la langue et de la méconnaissance de la réglementation.

L’Europe ne veut plus entendre parler de professions et privilégie la notion d’activité médicale. L’Europe veut en outre diminuer les dépenses de santé qui représentent 12 % du PIB. Les professionnels doivent toutefois disposer de moyens pour développer l’ambulatoire.

La question du numerus clausus se pose aussi.

Renaud DEGAS :
La seconde partie de la table ronde sera consacrée aux problématiques et aux solutions. Les questions du numerus clausus et des diplômes étrangers sont forcément liées.

Patrick ROMESTAING :
Le numerus clausus a été modifié depuis le début des années 2000, mais l’effet complet de cette augmentation, avec 10 années d’étude, ne se fera ressentir qu’à compter de 2017. Faut-il augmenter le numerus clausus ? Le supprimer ? La question de la capacité de formation se posera alors. S’ajoute à ce problème celui des médecins diplômés à l’étranger. Un quart des nouveaux médecins dispose aujourd'hui d’un diplôme étranger.

Les Français formés à l’étranger peuvent passer l’examen classant en France, selon une décision du Conseil d’Etat. Au concours 2015, le premier étudiant français à l’étranger est arrivé 168ème sur 8 800 candidats.

Sur le plan de l’offre de soins médicaux, ces médecins choisissent prioritairement un exercice hospitalier, dans les quatre régions du sud de la France.

Renaud DEGAS :
Ils ne répondent pas au problème de manque de médecins généralistes.

Patrick ROMESTAING :
Certains médecins roumains viennent s’installer en France, sans connaître la réglementation française. Certaines communes ont procédé à d’importants efforts pour installer un cabinet et fournir un domicile. Certains médecins partent toutefois du jour au lendemain, sans prévenir personne.

Renaud DEGAS :
Les projections réalisées ont été contredites par l’arrivée de médecins formés à l’étranger.

Patrick ROMESTAING :
L’augmentation exponentielle des mouvements des professionnels de santé impacte forcément le nombre de Français formés sur le territoire et le numerus clausus. La liberté de circulation européenne a des conséquences indiscutables.

Renaud DEGAS :
Ce phénomène existe aussi pour les chirurgiens-dentistes.

Catherine MOJAÏSKY, Présidente de la CNSD :
Le CLESI est plutôt une question de principe. Le représentant de la santé à l’enseignement supérieur a indiqué qu’il ne pouvait rien faire puisque le CLESI est illégal !!! Nous nous interrogeons sur le pouvoir de notre République.

Nos parlementaires méconnaissent les flux européens et les conséquences. La Pologne a demandé à bénéficier d’une compensation pour le départ de ces professionnels de santé vers l’Europe de l’Ouest. Quand nous avons expliqué que nous n’étions pas demandeurs de ces professionnels étrangers, le député européen était très surpris.

Nous devons expliquer aux parlementaires que la situation n’est favorable pour aucune partie. La France bénéficie d’une solvabilisation des soins. En Espagne, les revenus des professionnels de santé ne s’élèvent parfois qu’à 1 000 euros par mois. Nous devons élaborer un numerus clausus européen pour une cohérence des formations.

Certains viennent de territoires extraeuropéens et contournent les règles, comme les Moldaves qui parviennent à obtenir d’un diplôme équivalent en Roumanie.

Les moyens mis à disposition des facultés françaises pour former les étudiants baissent continuellement, alors que la formation clinique est fondamentale. La situation devient dramatique. Les salles de TP ferment, car elles sont trop vétustes. L’autonomie donnée aux universités a aggravé cette situation. Nos ministères doivent prendre la mesure de la situation et donner aux jeunes les moyens d’être correctement formés.

Nous avons réfléchi à une solution consistant en une année probatoire. Cette année permet au jeune formé à l’étranger qui vient en France de s’adapter à la réalité de l’exercice libéral, sachant que les chirurgiens-dentistes sont libéraux à 90 %. Cette disposition ne peut toutefois être imposée à des étrangers. Si nous instaurions un tel système, il serait imposé aux diplômés français, mais pas aux autres ce qui constitue une aberration.

Pour régler les problèmes de répartition territoriale, le seul moyen semble reposer sur des solutions de conventionnement sélectif. Un cabinet dentaire a 65 % de charges de fonctionnement.

Renaud DEGAS :
Les libéraux de votre périmètre sont-ils confrontés aux diplômés étrangers ?

Marie-Anne FRANÇOIS :
Lorsque des Français se forment à l’étranger, ils contournent le numerus clausus. Un tiers des orthophonistes se forme en Belgique.

Renaud DEGAS :
Cette solution vous arrange-t-elle ?

Marie-Anne FRANÇOIS :
Les jeunes formés doivent passer devant une commission de validation et doivent éventuellement suivre un certain nombre de stages, voire se former à l’administratif.

C’est une réponse, mais j’ignore si c’est une bonne réponse.

Des masseurs-kinésithérapeutes se forment également à l’étranger.

Renaud DEGAS :
Que pensez-vous du numerus clausus européen ?

Patrick ROMESTAING :
Les bases de données des pays européens diffèrent. La France est un des rares pays à connaître exactement la réalité démographique, grâce à un système centralisé. En Espagne, en Italie ou en Allemagne, la connaissance est bien moins précise, à cause d’une autonomie régionale. Les pays d’Europe centrale n’en sont qu’au constat du départ de leurs médecins. L’Europe devrait mener une étude sur les flux migratoires pour instaurer un contrôle sur le plan éthique.

François BLANCHECOTTE :
Nous serions confrontés à certains pays qui ne souhaitent pas une telle législation. La biologie allemande est réalisée par moins de 969 médecins contre 10 000 en France. D’autres professions effectuent donc ces tâches.

Il existe en outre un intérêt économique à former des étrangers.

Catherine MOJAÏSKY :
Une formation en Espagne coûte 20 000 euros par an pour un chirurgien-dentiste.

François BLANCHECOTTE :
La Roumanie ouvrira une autre université que Cluj et sera certainement suivie par la Bulgarie, puisque ces formations présentent un réel intérêt économique. Certains médecins français vont d’ailleurs dispenser des formations dans ces pays, pendant un mois.

Renaud DEGAS :
L’exercice regroupé permet-il de répondre aux besoins du territoire ? L’évolution des modes d’exercice constitue-t-elle une réponse pour les libéraux ?

François BLANCHECOTTE :
Nous ne nous rendons compte des erreurs commises qu’a posteriori. Ainsi, dans les années 1990, nous avons commis une erreur en ouvrant les capitaux et en permettant à une personnalité morale d’exercer la profession. Certains laboratoires français travaillent à 90 % de capitaux espagnols.

Demain, nous serons peut-être tous des salariés. Les professionnels de santé doivent être libéraux ? La question doit être posée. Les TNS ultra-minoritaires sont considérés comme des libéraux, mais ne disposent d’aucune indépendance.

Renaud DEGAS :
Les biologistes ont été des précurseurs dans le mouvement de regroupement et de financiarisation.

Catherine MOJAÏSKY, Président de la SNCD :
Le risque de dérive mercantile nous inquiète énormément. Le financement du bucco-dentaire entraîne ces dérives. Des low costs s’installent tous les jours sur le territoire, en pratiquant uniquement des actes rentables, au détriment de la santé publique, puisqu’ils n’effectuent pas de la prévention.

Nos jeunes qui se forment à l’étranger et doivent payer leurs études auront une approche davantage axée sur les aspects commerciaux que sur la santé publique. Notre profession est davantage concernée, car une grande partie de l’activité est à honoraires libres.

Patrick ROMESTAING :
Le quart des jeunes médecins qui terminent leur cursus et passent le concours disparaissent ce qui pose le problème de la motivation. Ce point nous interpelle. Ces jeunes qui partent dans d’autres pays pendant six ans ont peut-être davantage envie d’exercer. Certains pays proposent un entretien de motivation au début de la formation. Certains médecins s’installent, parfois seuls, en zone rurale. L’exercice regroupé est plébiscité par les jeunes médecins. Les maisons de santé pluriprofessionnelles ne constituent pas la seule solution puisqu’il est aussi possible de constituer des cabinets interprofessionnels.

Marie-Anne FRANÇOIS :
Le regroupement est un exercice rassurant et courant. La qualité des soins doit être assurée, grâce à une formation efficiente et efficace. Il faudrait également accroître la connaissance des besoins de santé pour savoir s’ils sont satisfaits.

Nathalie FOURCADE :
Les besoins de santé évoluent, au gré des innovations médicales. L’espérance de vie est élevée en France. Déterminer le niveau absolu de bon recours aux soins est très complexe.

Un participant :
J’étais la semaine dernière à Bruxelles pour rencontrer une fonctionnaire. Si les personnes prouvent leur compétence sur un métier pouvant exister en France, elles peuvent entrer sur le territoire et exercer.

Les prévisions faites sur la baisse du nombre d’ophtalmologistes sur le territoire ne se vérifient pas, fort heureusement.

Un participant :
Nous avons beaucoup parlé du numerus clausus et du contournement par les formations à l’étranger. Il est dommage qu’aucun représentant du ministère de l’Enseignement supérieur ne soit présent. Quel est l’intérêt des pouvoirs publics ? Le coût d’une formation à l’étranger est nul pour l’Etat français, contrairement à celui d’une formation en France.

Un participant :
La seule solution sera européenne. Un point pose problème et concerne la reconnaissance partielle de diplôme. Il est alors difficile de vérifier que les compétences exercées sont uniquement celles qui ont été reconnues.

 

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