Jean LEONETTI Quelques notions préliminaires. On ne peut pas faire une réforme de la santé « sans » et à plus forte raison « contre » les acteurs de santé. Défendre ces professions, c’est défendre les malades. La France dispose d’un niveau de qualité de soins, d’une prise en charge solidaire élevés. Enfin, la santé est un facteur de croissance économique et d’emplois. Cependant, les sondages réalisés à la demande du CNPS, du Conseil de l’Ordre et de la Fondation des Usagers dont la présidence m’a été confiée par la FHP sont concordants : les professionnels de santé ressentent un profond malaise et une inquiétude pour l’avenir que partagent les patients. Les acteurs de la santé en France ont le sentiment que petit à petit s’érode la capacité d’exercer en liberté et en conscience leur métier. Les professionnels de santé ont besoin de lisibilité et de clarté pour retrouver la confiance. Paradoxalement, plus la santé est « administrée » par les textes et les règlements et moins elle semble « organisée » sur le terrain. La société et la médecine ont évolué le patient est "connecté" et surinformé, les pathologies aigues ont peu à peu fait place aux pathologies chroniques qui nécessitent un suivi de proximité. Le système actuel « hospitalocentré » est plus cher et moins efficace qu’un système qui permet un recours dont le niveau est adapté au besoin du patient. L’hôpital est, à l’heure actuelle, le premier et le dernier recours. Une nouvelle répartition des rôles entre les acteurs libéraux et hospitaliers doit être mise en place. Le « virage ambulatoire » ne peut être réussi que grâce à une incitation financière. Pour atteindre ces objectifs, plusieurs mesures sont nécessaires : Favoriser financièrement le regroupement des professionnels libéraux et/ou leur organisation, Moderniser les pratiques grâce aux nouvelles technologies qui peuvent permettre une meilleure couverture de soins sur tout le territoire et rembourser les actes (télémédecine), Favoriser le « qualitatif » au dépend du « quantitatif » par une évaluation objective des systèmes mis en place et des pratiques avec des recommandations claires de la Haute Autorité de Santé, Retrouver avec les professionnels libéraux un climat de confiance basé sur le respect des engagements conventionnels et leur présence représentative dans les instances décisionnelles, Permettre l’évolution des carrières et des missions des professionnels en concertation avec eux, Clarifier les limites entre l’Assurance Maladie et les complémentaires, Favoriser l’installation des jeunes par une organisation systématique d’une partie de leur formation auprès des professionnels libéraux, Ne permettre l’installation des professionnels européens en France que s’ils répondent à la totalité des missions de la profession correspondante. Quelles sont les trois premières mesures concrètes du candidat Juppé ? Les trois mesures immédiates à mettre en œuvre : Outre la suppression du tiers payant généralisé, l’engagement de l’ouverture d’un dialogue et d’une concertation sur les décisions à venir au niveau national et des ARS pour définir le rôle des libéraux dans les parcours de soins et la formation des professionnels sont les mesures les plus simples et les plus rapides à mettre en œuvre pour restaurer un climat de confiance Marie-Christine FAVROT Nos propositions s’articulent autour de trois priorités : l’efficience du système et la qualité des soins ; une régulation effective des dépenses de santé qui ne creuse pas les inégalités ; les ressources humaines. L’efficience et la qualité des soins supposent de mettre fin à une gouvernance qui conduit à l’hospitalo-centrisme. Cela suppose aussi de disposer d’outils informatiques, ceux de la e-santé ainsi que de référentiels de soins partagés entre tous les professionnels et les usagers. Enfin, nous souhaitons que l’organisation du système de santé soit effectivement territoriale et définie par tous les acteurs. Nous proposons de faire évoluer l’organisation de l’État pour administrer le système de santé et celui de la construction de l’ONDAM. A titre d’exemple, la LFSS 2016 prévoit un report sur l’enveloppe des soins de ville des prescriptions hospitalières. En outre, il faut redonner de l’autonomie aux ARS pour leur permettre de construire leurs missions avec les acteurs du territoire. Pour cela, nous proposons de modifier la durée et les modes de nomination des directeurs des ARS et la composition des conseils de surveillance. Nous proposons que la médecine scolaire et la Médecine du Travail soient confiées au Ministère de la santé. Concernant les outils partagés, le DMP doit voir enfin le jour. Les actes de télémédecine (téléconsultation, télésurveillance, télé-expertise) doivent être valorisés. Enfin, il faut en finir avec les multiples organismes fournissant des référentiels de bonnes pratiques et se doter de l’équivalent NICE Grande Bretagne ou Santé Canada. Dans ce domaine, les initiatives des complémentaires santé et actions financées par l'État doivent converger. Il convient d’accélérer l’arrivée du haut débit dans les territoires les plus défavorisés. L’offre de soins hospitaliers doit reposer sur les établissements publics et privés en levant les contraintes financières sur les établissements privés. Concernant l’hospitalisation publique, les GHT doivent conduire à une diminution effective des dépenses hospitalières. Pour ce faire, un GHT doit pouvoir être personnalité morale de droit public avec sa propre gouvernance. S’agissant des soins primaires et de la prévention, la palette des soins doit être adaptée aux besoins du territoire et reposer sur une coordination. Nous proposons une extension des sphères d’intervention de certaines professions paramédicales et la mise en place d’un mandat de santé publique pour les Libéraux de santé. Nous proposons également de coordonner la santé scolaire et la santé au travail avec le secteur de la santé en ville. Nous proposons d’accélérer la création de pôles de santé pluridisciplinaires dont le modèle, public ou privé, doit être laissé au choix des professionnels de santé. La problématique des urgences ne peut être résolue sans la mise en place d’une permanence des soins en ville. Pour couvrir les besoins de santé indispensables à une prise en charge de qualité, nous proposons la création d’un panier de soins et de prévention, qui serait remboursé à tous les usagers. Parmi nos mesures relatives à l’Assurance Maladie, nous sommes favorables à la gratuité de la vaccination, au non remboursement des médicaments à SMR faible, à la suppression des remboursements des soins de confort ou encore à la reconsidération des conditions de sortie d’ALD. En matière de formation, nous proposons que le numerus clausus de la PACES et l’internat soient régionalisés, en privilégiant les facultés proches des zones sous-dotées. Par ailleurs, il importe d’assouplir le statut des professionnels de santé du public, ainsi que d’adapter le statut juridique et la rémunération des libéraux souhaitant travailler à temps partiel dans le secteur public. Il faut s’inspirer du modèle allemand, qui permet de réguler la rémunération en associant un paiement à l’acte et un forfait. Il est urgent d’entreprendre les réformes nécessaires, car nos professionnels doivent pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Pourquoi les responsables politiques ne s’intéressent-ils pas à la santé ? Depuis trop longtemps, les responsables politiques tendent à penser que le système de santé tiendra bien cinq ans encore. Nous n’en faisons pas partie. Êtes-vous favorable au maintien de la liberté d’installation ? Nous y sommes favorables. Les bénéficiaires de la CMU ont des complémentaires. 4 % de la population n’a pas de complémentaire santé, car elle n’en a pas les moyens. Le tiers payant obligatoire est-il abrogé ? Le tiers payant ne résout en rien les inégalités de santé, car les patients les plus démunis tendent à refuser aux soins. Philippe JUVIN Nous observons un décalage entre les besoins nouveaux de la population, notamment liés aux pathologies chroniques et la difficulté de faire évoluer nos structures de soins. L'émergence des maladies chroniques est la justification du virage ambulatoire. Il convient d’identifier la partie de l’ONDAM correspondant à l’ambulatoire comme un marqueur de l’évolution de notre système. Le parcours de soins doit être construit l’échelle locale. Il doit s'appuyer sur plusieurs éléments dont un registre de patients facilitant le suivi et la mise en place d'un modèle adapté de structuration des risques. Ce qui signifie qu'il faut préciser quels patients entreront dans le système. Nous également devons définir des protocoles de soins uniques et confier la coordination des soins au médecin traitant. La création de ces parcours de soins est adaptée aux maladies chroniques, améliorer la qualité et nous redonnera des marges de manœuvre. L’évaluation médico-économique des parcours de soins et de leur efficacité est absolument nécessaire. Seul un environnement de simplification administrative incitera les jeunes praticiens à s’installer, dans les zones désertées mais en fait partout. Nous ferons immédiatement une loi sur la médecine libérale pour la promouvoir. Nous lancerons un grand chantier de simplification administrative et de simplification des normes. Nous baisserons également immédiatement les charges sur les bas salaires et réintroduirons la défiscalisation des heures supplémentaires. Les jeunes praticiens ne veulent pas s’installer en ville, car ils ne la connaissent pas. Il est aberrant que les étudiants hospitaliers ne mettent pas les pieds dans la ville. Il faut donc rendre obligatoire, externe ou interne, pour toutes les spécialités, un stage dans le libéral pour faire naître les vocations. La société dans son ensemble doit s’organiser pour mettre en œuvre le virage ambulatoire. L’hôpital n’est pas le lieu des soins primaires. Pour l’hôpital, la proximité n’est pas le garant de la qualité. Il me semble indispensable que l’hôpital engage sa mutation vers l’information et la transparence au service des patients. Nous voulons instaurer une identification d’un certain nombre de pratiques (dépistage, conseils hygiéno-diétetiques, surveillance de la maladie) que le patient devra respecter pour bénéficier d’un remboursement à taux plein. Le patient doit aussi être acteur de son parcours. Les outils numériques doivent être utilisés à plein. Nous lancerons un plan « Alzheimer et dépendance liée au grand âge ». La recherche européenne et française doit être développée dans ce domaine. En matière de maintien à domicile et de création de places en établissements financièrement accessibles, nous souhaitons mettre en place une politique volontariste. Nous relancerons le "plan Cancer", qui est embourbé, et le "plan soins palliatifs" qui avait produit de beaux effets à l'hôpital mais qui avait été arrêté lors de l'élection de François Hollande avant qu'il ne produise ses effets en ville. En matière de gouvernance, je crois au conventionnement et à l’absolue nécessité d’impliquer les syndicats. Nous mettrons en place un spoil system pour s’assurer de la mise en œuvre des politiques décidées par la haute administration. Le tiers payant généralisé, auquel nous mettrons fin immédiatement, est une voie de privatisation rampante. Je crois en la liberté des médecins et des patients. Je crois en l'industrie de santé. Nous devons raccourcir les décisions de fixation des prix. Nous devons faciliter les inclusions dans les essais cliniques. Nous devons garantir le continuum entre la médecine de ville et les innovations (notamment les objets connectés). Nous pourrons mettre fin aux doubles prescriptions grâce aux outils partagés entre la médecine de ville et les hôpitaux. Partout, en matière de transparence, d'information, de prévention, de prise en charge, nous devons faire notre révolution numérique. En tant qu’auteur de la loi HPST, regrettez-vous les ARS ? Non. Il nous paraissait indispensable d’organiser la mutation entre ARH et ARS. Sa mise en œuvre a été inutilement complexifiée. Que faites-vous des 132 milliards d'euros de dettes de la CADES ? Cette dette commence à être prise en compte dans le système global. Nous devons œuvrer à la réduction du déficit, sachant que le virage ambulatoire nous permettra d’enregistrer des économies et de la performance en matière de qualité des soins. Que faites-vous de la directive européenne sur l’accès partiel ? Nous souhaitons revenir à une transposition minimale des directives européennes. Nous sommes opposés à la transposition par voie d’ordonnance. Que feriez-vous pour revoir la santé de santé mortifère pour la médecine libérale ? Considérer que les hôpitaux publics sont les seuls partenaires des GHT est une hérésie. Notre pays surtranspose les directives européennes, en prévoyant des obligations bien supérieures à celles des autres Etats membres. David CORMAND Pour les écologistes, la politique de santé doit prendre en compte l'ensemble des atteintes à la santé qui ne sont pas d'origine environnementale, mais liées à l'environnement dans lequel l'individu évolue, ses conditions de vie ou de travail, la pollution de l'eau ou de l'air et les changements environnementaux et que nous regroupons sous l'appellation d'exposome. Ces facteurs environnementaux ont également une dimension sociale. Les professionnels de santé, dans le cadre de leur exercice sont d'ailleurs aux premières loges des inégalités sociales, environnementales et de santé. L'approche environnementale de la santé suppose une implication de l'ensemble des acteurs du système de santé. Afin de mettre en oeuvre une politique préventive, il faut permettre un suivi personnalisé des patients et les professionnels de santé libéraux ont un rôle essentiel à y jouer qui doit être mis en avant. L'approche environnementale suppose également le renforcement de la lutte contre les lobbies pour mieux informer les consommateurs des produits disponibles et de leurs impacts, accompagner les acteurs économiques dans des démarches de substitution des substances dangereuses et interdire certains produits malgré les pressions très fortes des industriels. L'accès aux soins est par ailleurs un enjeu majeur de notre politique de santé. Un Français sur cinq renonce ainsi à se soigner pour des raisons financières, et le secteur dentaire est le domaine où les soins sont le plus souvent repoussés ou non réalisés du fait du coût. Nous proposons donc de lutter contre les ruptures de droits en automatisant le nouvellement de la CMU pour les bénéficiaires de l'ASPA ou de l'AAH. Nous souhaitons également une politique offensive contre le refus de soin. Le système de tarification actuel des professionnels de santé ne permet pas de valoriser la diversité des suivis et le rôle de coordination qui est parfois assumé et qui doit être soutenu pour des vrais parcours de soins. Concernant les propositions du CNPS, nous sommes favorables à envisager une réforme des gouvernances, vers plus de participation. Nous sommes en effet attachés de longue date à une meilleure prise en compte des représentants des usagers. Il faut également reprendre des négociations sur le reste à charge. L'intérêt général doit prévaloir et l'Assurance maladie assumer son rôle de régulateur. Nous soutenons les demandes de formations continue des professionnels de santé, compte tenu des évolutions médicales, thérapeutiques, environnementales, des réflexions sur les pratiques, etc... elle nous semble essentielle pour assurer la qualité des soins et le développement des professionnels. Nous souhaitons en revanche qu'elle soit indépendante des lobbies. Nous partageons la conviction que la santé n'est pas un marché, d'où l'importance de la prévention et de l'indépendance des professionnels. Enfin, concernant le maillage territorial, la réflexion doit être menée au delà des enjeux de rémunération sur les ressorts de l'installation, on a vu notamment que l'accès au congé maternité pouvait constituer une incitation importante pour l'installation en zone sous dotée ou une réflexion sur le rythme de vie des professionnels de santé dans les régions que l'on appelle "déserts médicaux". Il faut également intégrer la dimension médicale aux réflexions sur l'aménagement du territoire. Pensez-vous étendre les droits de vaccination ? Je suis favorable à l'extension de certaines vaccinations aux pharmaciens. Bruno LEMAIRE La santé doit être au cœur du débat sur les primaires. La sécurité sociale doit être défendue et la solidarité doit rester au cœur de notre système de soins. Vous, professionnels de santé libéraux, devez rester au cœur de notre offre de soins, par votre intervention de proximité. Encore faut-il que votre métier soit mieux reconnu. Nous devons recruter des profils beaucoup plus larges, humains et prendre quelques décisions symboliques pour témoigner de notre respect. Lorsque vous gérez des pathologies complexes et des patients en ALD, votre rémunération doit en tenir compte. Enfin, le tiers payant généralisé doit être abrogé immédiatement, car votre rôle est auprès des patients et non dans la paperasse. Nous devons travailler à une meilleure coopération pour mieux garantir votre présence en France. Il n’y a pas de pire injustice que de rencontrer des difficultés à accéder aux soins. La télémédecine doit être développée, à la condition de garantir aux territoires l’accès au très haut débit et à la fibre le plus rapidement possible. Enfin, il me paraît nécessaire de débureaucratiser notre système pour parvenir aux économies qui permettront de garantir un meilleur accès aux soins et une meilleure rémunération pour les professionnels de santé. Vous occupez une place absolument majeure. Au-delà de votre savoir-faire et de votre science, vous incarnez la proximité dont nous avons besoin. Personne ne remplacera jamais les liens personnels que vous savez tisser partout en France. C’est la raison principale pour laquelle je souhaite vous remettre au cœur du système de soins. << 4/4 : Article précédent