Intervenants : Christophe LANNELONGUE : Directeur général de l’ARS Grand Est Jean-Marc MACE : Géographe, Professeur au CNAM de Paris Jean DESMAISON : Président de l’URPS Chirurgiens-dentistes de Nouvelle Aquitaine Laurent SACCOMANO : Président de l’URPS Médecins libéraux de PACA Catherine MOJAÏSKY : Présidente de la CNSD Philippe GAERTNER : Présidente de la FSPF La table ronde est animée par Sylvie FONLUPT. Sylvie FONLUPT : Les projets régionaux de santé découpent désormais les régions en territoires et visent à décliner localement les politiques nationales ou, peut-être, à y faire éclore les projets des acteurs locaux. Des marges de manœuvre existent-elles réellement ? Quelles leçons tirer des expérimentations ? Jean-Marc MACE : Globalement, la répartition des médecins généralistes semble cohérente avec la répartition de la population française. En analysant la situation à une échelle plus réduite, la réalité est différente, avec beaucoup plus de disparités. Avec les réformes successives, la territorialisation est devenue extrêmement complexe. Elle repose sur des logiques différentes, qui peuvent parfois être contradictoires. Je voudrais vous livrer quelques éléments sur le projet PAIS mené dans le Loir-et-Cher. Des initiatives ont pu être mises en place pour améliorer la prise en charge des patients et désengorger l’hôpital de Blois, en organisant une sorte de « mini SAMU » entre les médecins généralistes. Ce processus a permis de réaliser des économies, sans dégrader, au contraire, l’état de santé de la population. Dans les faits, nous constatons que les territoires vécus sont indépendants des délimitations administratives. Or les GHT sont généralement implantés au niveau des départements. Il est regrettable qu’un diagnostic des comportements n’ait pas été réalisé au préalable pour mieux définir les besoins des populations. Christophe LANNELONGUE : Les besoins évoluent fortement, avec le vieillissement de la population, la dynamique d’innovation médicale, les contraintes économiques, etc. Dans ce contexte, nous devons modifier nos manières de travailler et organiser les réponses de proximité. Nous ne pouvons pas rester dans une vision uniquement verticale. J’espère que nous allons entrer durablement dans une autre logique, en nous appuyant davantage sur les professionnels. Les difficultés ne doivent cependant pas être niées. L’autonomie et l’indépendance des professionnels libéraux doivent être confortées mais avec des contreparties. La coordination est indispensable, comme le montre l’expérience du projet PAIS. Pour les ARS et l’Assurance Maladie, il s’agit néanmoins d’un changement fondamental. Sylvie FONLUPT : Quel sera l’impact des innovations, comme la télémédecine, dans l’organisation des territoires ? Jean-Marc MACE : Des évolutions interviendront évidemment mais nous ne devons pas laisser se créer des déserts médicaux sur les besoins de base. Sylvie FONLUPT : Comment soutenir les dynamiques professionnelles dans les territoires ? Laurent SACCOMANO : Les déserts médicaux sont souvent la conséquence de la disparition de beaucoup d’autres services. Les travaux de cartographie nous donnent des états des lieux. Ces éléments sont intéressants mais ils ne nous permettent pas forcément de nous projeter et de connaître l’offre qui pourra être proposée dans le futur. Il faut également tenir compte des contraintes géographiques, qui peuvent extrêmement fortes dans les zones montagneuses. En PACA, nous incitons l’ARS à créer un véritable observatoire capable d’avoir une vision globale des situations, intégrant les comportements, une analyse approfondie de l’activité des professionnels et plus globalement toutes les réalités des territoires. Nous sommes persuadés qu’une décision venue d’en haut nous demandant de nous regrouper en maison pluridisciplinaire ne peut pas être la seule solution. Sylvie FONLUPT : L’approche doit donc être plus qualitative. Laurent SACCOMANO : Oui et il faudrait que les ARS disposent ensuite de marges de manœuvre pour moduler les dispositifs en fonction des dynamiques locales. Jean-Marc MACE : Les maisons de santé ne correspondent pas forcément aux attentes des médecins libéraux. Ce mode de fonctionnement s’accompagne aussi de beaucoup de contraintes, financières et administratives. Catherine MOJAÏSKY : L’exemple des chirurgiens-dentistes montre qu’il est extrêmement difficile d’anticiper l’évolution de l’offre. La proportion de praticiens titulaires de diplômes étrangers a en effet fortement augmenté. L’approche ne peut pas uniquement s’appuyer sur la démographie. Il faut aussi tenir compte de la dimension économique, car les cabinets dentaires ne peuvent s’implanter que s’il existe un potentiel suffisant. Nous venons de mettre en place un observatoire, financé par les URPS. Notre objectif est de collecter des données chiffrées, qui faciliteront le dialogue avec l’Assurance Maladie et permettront de mieux appréhender les situations auxquelles nous devrons faire face dans le futur. En connaissant mieux nos patients et leurs besoins, nous pourrons construire une politique bucco-dentaire qui a du sens. Jean DESMAISON : La taille de la région Nouvelle Aquitaine rend difficile la coexistence entre les responsabilités de président de l’URPS et le maintien d’une activité libérale. L’ARS a un fonctionnement trop administratif. J’ai récemment vu la différence avec les instances de Bordeaux Métropole. L’agglomération s’est fixé des objectifs et veut les atteindre. L’ARS se focalise sur les enjeux financiers, en essayant de tout obtenir au moindre coût. Nous ne pourrons pas avancer ensemble ainsi. Sylvie FONLUPT : En tant que directeur général d’ARS, comment réagissez-vous ? Christophe LANNELONGUE : Les ARS ont été constituées avec des objectifs de restructuration hospitalière. Je suis néanmoins optimiste, car il me semble qu’une prise de conscience a eu lieu. L’amélioration de l’efficacité des soins de proximité est indispensable. Les relations des ARS et de l’Assurance Maladie avec les professionnels de santé doivent évoluer. Sylvie FONLUPT : Les concertations, au sein desquelles les professionnels de santé libéraux sont d’ailleurs assez peu représentés, sont très nombreuses mais sont-elles vraiment utiles ? Christophe LANNELONGUE : Je ne le crois pas. Elles permettent d’identifier les grands changements que nous devons apporter au fonctionnement de notre système de santé. Nous avons un consensus sur un certain nombre d’objectifs. Il faut maintenant que les professionnels s’en emparent et mettent en place des réponses de terrain. Nous ne pouvons pas faire évoluer notre système de santé sans soutenir des dynamiques professionnelles. De ce point de vue, le dialogue entre les professionnels me semble néanmoins indispensable. Les réponses passent toujours par une meilleure association entre les médecins, infirmiers, pharmaciens, podologues, etc. Il faut travailler davantage en équipe. Sylvie FONLUPT : Des expérimentations sont menées mais elles peinent souvent à se généraliser. Philippe GAERTNER : Les pharmaciens sont organisés sur les territoires mais les flux de population sont très dépendants des médecins. Certaines officines sont ainsi appelées à disparaître. Or nous permettons un premier recours. De nombreuses expérimentations, souvent concluantes, se mettent en place. Elles bénéficient du soutien des ARS pendant quelques années mais ne parviennent pas à franchir l’étape suivante. J’espère que nous pourrons le faire dans le futur. De ce point de vue, la signature de l’ACI sur la rémunération de la coordination me semble essentielle. La prise en charge de proximité répond aux attentes des patients. Elle est également positive économiquement. Les professionnels libéraux doivent s’organiser et travailler ensemble. Christophe LANNELONGUE : Nous peinons effectivement à transformer les expérimentations. Les accords nationaux et la rémunération du temps passé sont effectivement des éléments fondamentaux pour franchir cette étape. Les ARS ont certainement des progrès à faire mais elles ne pourront pas tout faire. L’Assurance Maladie doit également prendre en charge les évolutions de pratiques qui ont déjà été validées. Laurent SACCOMANO : Il faut aussi s’inspirer des expérimentations faites dans les autres régions, sans tout recommencer de zéro. De la salle, chirurgien-dentiste Nous avons de plus en plus de patients avec des pathologies chroniques liées à des causes environnementales. Or ce sujet n’est jamais abordé dans nos réflexions. Jean DESMAISON : Nous travaillons évidemment sur ce sujet dans les CRSA avec les ARS. Christophe LANNELONGUE : Les élus ont de plus en plus conscience de la place de la santé dans le développement des territoires. Les environnements de vie doivent être modifiés. Les contrats locaux de santé peuvent jouer un rôle dans ce domaine. Certains associent des professionnels et des acteurs institutionnels qui permettent d’agir de manière globale. De la salle, médecin : La pratique des médecins, s’ils font de l’homéopathie par exemple, influe aussi sur les flux de patients. Or ils peuvent être menacés de sanctions s’ils effectuent trop de consultations. Ils ne font pourtant que répondre aux sollicitations. Christophe LANNELONGUE : L’Assurance Maladie a conscience des évolutions nécessaires. Elle doit privilégier le dialogue et ne pas s’enfermer dans une vision comptable. Les efforts sur la pertinence et la qualité sont concentrés sur les hôpitaux mais ils devraient aussi porter sur la médecine de ville. Sylvie FONLUPT : L’ARS des Hauts-de-France fait pression sur les médecins qui prescrivent trop d’antibiotiques. Est-ce son rôle ? Christophe LANNELONGUE : Nous ne devons pas avoir une relation comptable mais nous devons travailler en faveur de l’amélioration des prises en charge. Catherine MOJAÏSKY : L’arrivée des praticiens étrangers soulève des questions en termes de formation. Tous n’ont pas suivi un parcours conforme à la directive européenne. Nous avons alerté à ce sujet, sans réponse. Christophe LANNELONGUE : Nous avons déjà connu des scandales dans ce domaine mais je ne peux pas répondre à la place de la ministre. De la salle : Nous n’avons toujours pas connaissance du zonage. Avez-vous des informations à ce sujet ? Le retard est en effet bloquant pour certaines installations. Christophe LANNELONGUE : La ministre lancera le plan d’amélioration de l’accès aux soins le 13 octobre. Le sujet est compliqué, car l’indicateur APL présente des limites. Il constitue un progrès dans l’appréciation dynamique des situations par bassin de vie mais n’est qu’une ébauche de ce que nous devrons faire. Les ARS devraient mettre en œuvre le zonage en début d’année prochaine. Les aides individuelles à l’installation sont importantes mais je pense qu’elles ne le sont pas autant que le développement des dynamiques entre professionnels. A mon avis, c’est sur ce point que nous devons concentrer nos efforts. Laurent SACCOMANO : L’important est de créer une relation de confiance entre les ARS et les professionnels de santé. Ce sont eux qui connaissent le mieux les réalités locales. << 1/5 : Article précédent Article suivant : 3/5 >>