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Comment le numérique va-t-il modifier la conception du soin et du suivi des patients ?


Participaient à cette table ronde :

  • Paul CATTANEO : Référent pour les nouvelles technologies auprès de l’Association Dentaire Française
  • Patrick CORNE : Secrétaire Général de la FFMKR, chargé des systèmes d'information
  • Corinne DENIS : Ancien PDG de Doctissimo, Responsable du Pôle digital chez Lagardère Active
  • Nicolas GOMBAULT : Directeur général du Sou Médical
  • Eric HENRY : Président du SML
  • David SAINATI : PDG de MEDAPCARE
  • Philippe TISSERAND : Président de la FNI

Cette table ronde était animée par Sylvie FONTLUPT, Consultante en charge de la communication du CNPS.

Sylvie FONTLUPT
Le numérique fait désormais partie de votre quotidien de médecin. Pourriez-vous nous expliquer en quelques mots comment le numérique a modifié votre activité, au quotidien ?

Eric HENRY
En tout état de cause, nos patients sont de plus en plus informés, via internet, notamment. Pour autant, le lien humain entre le médecin et le patient ne va pas disparaître, suite à ce meilleur partage du savoir. Bien au contraire, les patients vont revenir vers nous avec de nouveaux questionnements et la relation va devenir beaucoup plus transversale.

Nous devons nous emparer de tous les outils numériques que nous avons à notre disposition afin de prendre le pouvoir sur nos territoires. Pour ce faire, il nous appartiendra de lutter sur le terrain, grâce à la mise en œuvre d’actions concrètes, contre la nouvelle loi de santé, pour favoriser l’avènement d’une médecine plus moderne, et aussi plus efficace.

Sylvie FONTLUPT
Corinne Denis, vous avez animé Doctissimo et avez dirigé durant un an le pôle e‑Santé de Lagardère. Vous n’êtes donc pas pour rien dans le fait que les patients soient dorénavant plus éclairés.

Corinne DENIS
Oui, les patients sont plus informés mais ils ne sont pas devenus experts pour autant et auront donc toujours besoin des professionnels de santé. Doctissimo, créé par un médecin il y a quelques années, permet un partage d’informations. C’est un site essentiellement féminin, puisque ce sont les femmes qui ont en charge la santé de toute la famille.

Nous sommes là pour nous adresser aux internautes sur des sujets de santé. Pour leur proposer un service gratuit de qualité, nous travaillons avec des annonceurs publicitaires

Sylvie FONTLUPT
Comment faire pour s’y retrouver parmi toutes les applications à notre disposition ?

David SAINATI
Je dirige une start-up spécialisée dans la labellisation des applications et l’évaluation des objets connectés. Il existe à l’heure actuelle plus de 165 000 applications mobiles de santé dans le monde, ce qui est colossal. 20 % des personnes qui possèdent un smartphone ont déjà utilisé une de ces applications sur leur téléphone et nombre d’entre eux en ont un usage quotidien.

A l’horizon 2020, chaque français possédera environ 30 objets connectés à son domicile. La question de la fiabilité de ces objets est donc primordiale, et nous préoccupe au plus haut point au sein de notre société. Nous procédons donc à une évaluation complète de tous ces outils, à l’issue de laquelle nous décernons un label privé. Notre labellisation s’effectue sur la base d’un référentiel multi-critères, portant sur une évaluation de la sécurisation de l’échange des données, des aspects réglementaires, des mentions légales, de la fiabilité des données de santé mises à disposition des internautes et de l’ergonomie et de l’usage de ces applications. A noter qu’une application sur deux n’est pas labellisée après un examen de notre part, ce qui démontre notre sérieux.

Sylvie FONTLUPT
Nombre d’usagers craignent d’être manipulés sur des sites tels que Doctissimo.

Corinne DENIS
Je vous assure que la possibilité offerte à l’internaute de réagir en direct constitue un vrai garde-fou pour les sites d’information dans le domaine de la santé.

Sylvie FONTLUPT
Vous évaluez les applications et les objets connectés mais qui vous évalue, vous ?

David SAINATI
Nous avons un Conseil scientifique et un comité d’éthique, en charge de nous contrôler et d’évaluer notre activité. Nous avons par ailleurs obtenu la certification ISO-27002 concernant la protection des données. Nous participons en outre aux discussions au niveau de la HAS sur la prochaine mise en place d’un référentiel public des applications mobiles de santé et objets connectés.

Philippe TISSERAND
Il existe déjà de nombreux objets connectés dans le domaine de la santé, tels que les piluliers, notamment, ou les pèse-personnes électroniques. Rien de révolutionnaire, toutefois, à ce stade.

Dans le contexte actuel, « l’uberisation » gagne du terrain et risque de toucher, à terme, tous les domaines d’activité. Je serais par conséquent bien étonné que le secteur de la santé soit épargné par cette déferlante. Nous devons donc nous mettre en ordre de marche en réagissant le plus en amont possible, afin de ne pas être pris au dépourvu comme les chauffeurs de taxi l’ont été lorsqu’ils ont dû contrer la concurrence déloyale à laquelle ils se trouvaient confrontés.

Pour ce faire, nous devons évidemment miser sur la qualité de nos prestations.

Sylvie FONTLUPT
La profession dentaire a été très impactée par l’émergence du low-cost dans le domaine de la santé. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

Paul CATTANEO
Le praticien utilise le numérique pour améliorer la qualité de la prise en charge de ses patients. Nous y avons notamment recours pour effectuer nos radios, dont les résultats sont disponibles immédiatement.

La mise en place de ce type d’outils peut certes favoriser l’émergence du low-cost. Les praticiens disposent toutefois d’atouts incontestables pour lutter efficacement contre cette concurrence.

Sylvie FONTLUPT
Quels sont les conseils que vous donneriez aux professionnels pour optimiser la gestion de leurs données ? Peut-on utiliser le cloud pour stocker des données éminemment confidentielles ?

Patrick CORNE
Les professionnels de santé sont censés utiliser une messagerie sécurisée, que les pouvoirs publics tardent à mettre en place, comme s’ils ne souhaitaient pas que nous puissions échanger entre nous en toute sécurité.

Certaines données se promènent ainsi dans la nature et sont captées par l’un des grands acteurs du GAFA que sont Google, Apple, Facebook ou Amazon.

A l’avenir, les pouvoirs publics entendent imposer des normes drastiques aux professionnels de santé, tout en laissant parallèlement des données personnelles circuler librement sur le net.

Sylvie FONTLUPT
Le numérique va également favoriser l’émergence des actions collectives judiciaires contre les professionnels de santé.

Nicolas GOMBAULT
Il s’agit effectivement d’un risque émergent. Fort heureusement, le numérique ne va pas supprimer pour autant la relation humaine existant nécessairement entre un professionnel de santé et son patient. Il va toutefois modifier en profondeur l’activité des praticiens, au quotidien.

Le professionnel de santé devra notamment aider les usagers à décoder le flot d’informations mis à la disposition de ces derniers sur les sites internet spécialisés dans le secteur de la santé.

Il conviendra en outre de favoriser plus que jamais la coordination des actions des différents professionnels de santé.

En tout état de cause, l’information est dorénavant librement accessible à tous, ce qui modifie sensiblement le rapport de forces des acteurs en présence. Par le passé, en effet, celui qui était informé était celui qui détenait le pouvoir. Le règne sans partage des professionnels de santé sur le savoir médical a donc vécu.

La nouvelle loi de santé de janvier 2016 permet en outre aux associations de santé d’agir collectivement et d’intenter une action de groupe en justice contre des professionnels de santé ou des laboratoires pharmaceutiques, notamment. Les patients sont donc de plus en plus maîtres de leur parcours de soins.

Sylvie FONTLUPT
Les assureurs des professionnels de santé ne vont-ils pas devoir assurer leurs clients contre le nouveau risque numérique ?

Nicolas GOMBAULT
De toute évidence, les assureurs devront effectivement assurer les professionnels de santé contre ce nouveau risque.

Sylvie FONTLUPT
Pensez-vous que les métiers des professionnels de santé vont se modifier en profondeur dans un proche avenir, suite à l’émergence de tous ces outils numériques ?

Eric HENRY
Prenez le pouvoir sur vos territoires, comme je l’indiquais précédemment, faute de quoi d’autres le feront à votre place et à vos dépens !

Sylvie FONTLUP
Pourrions-nous imaginer que vous prescriviez des applications à vos patients, à l’avenir ?

Eric HENRY
Tout à fait. Nous le faisons déjà pour le suivi de la tension artérielle, notamment.

Philippe TISSERAND
Nous avons également mis à la disposition des infirmiers libéraux une application permettant de faciliter l’observance des traitements par les patients. L’utilisation de ce type d’applications permettra en outre d’améliorer le remplissage du dossier de soins, étant entendu qu’il sera possible d’envoyer des alertes ou des relances aux patients qui seront suivis à domicile. Malheureusement, toutefois, le coût de tous ces nouveaux outils générera un reste à charge important pour les patients ce qui risque de générer, à terme, de nouvelles inégalités de santé.

Eric HENRY
L’avènement du numérique devrait mettre un terme à la problématique des déserts médicaux. En tout état de cause, les zones sous-dotées n’existeront bientôt plus.

Sylvie FONTLUPT
Le problème du financement reste entier. Pensez-vous qu’il incombe aux complémentaires de santé de financer le recours à ce type d’outils ?

Eric HENRY
Tout à fait. Il conviendra en outre de valoriser précisément le coût des consultations téléphoniques et de mettre à la disposition des usagers de nouveaux outils toujours plus performants, assurant une meilleure prise en charge des patients.

En tout état de cause, nous ne devons pas nous laisser déborder par la vague numérique qui se présente à nous mais l’appréhender comme une opportunité réelle d’efficacité et de renforcement de la qualité de nos prestations. Pour ce faire, nous devons jouer un rôle proactif et nous emparer de toutes les sources de modernité que nous offre cette révolution numérique.

Sylvie FONTLUPT
Quelle est l’ampleur de l’« e-santé » aujourd'hui ? Comment les médias s’en emparent-ils ?

Corinne DENIS
Il faut distinguer ce qui relève du soin de ce qui relève de la prévention. Nous agissons pour notre part au niveau du grand public et nous nous intéressons notamment au suivi des maladies chroniques et au bien-être des patients (remise en forme, régimes amincissants, etc.) mais ne nous sommes pas encore emparés de questions plus sérieuses, relatives au suivi médical des patients à leur sortie de l’hôpital, notamment.

Sylvie FONTLUPT
Nombre d’usagers craignent que des hackers s’emparent de leurs données personnelles sur internet. Comment pouvons-nous nous prémunir contre ce type de risque ?

David SAINATI
Les logiciels que nous utilisons sont labellisés et il faut les mettre régulièrement à jour, afin de limiter les attaques de virus. Nous devons également faire montre d’une grande prudence vis-à-vis des SPAMs dont nous sommes tous destinataires, au quotidien.

Enfin, il conviendra de former les professionnels de santé à l’utilisation de ces nouveaux outils numériques, si nous voulons que ceux-ci soient sources de progrès.

Sylvie FONTLUPT
En tout état de cause, il existe de nombreuses applications à disposition des professionnels de santé, en sus de celles mises à disposition des patients.

Corinne DENIS
Il faut être à l’écoute de l’évolution des usages et ne pas rester campés sur ses positions sans réagir. Je vous rappelle en effet que les créateurs d’Uber, avant de s’installer sur le marché, sont venus proposer leur nouveau modèle économique aux grandes compagnies de taxi qui ont refusé de les écouter. Mal leur en a pris car elles se sont ensuite trouvées contraintes d’améliorer leurs prestations dans l’urgence, pour lutter contre cette nouvelle concurrence, alors qu’elles auraient pu le faire en amont, si elles avaient consenti à se remettre en question. Il en va selon moi de même dans le domaine de la santé, au sein duquel la « politique de l’autruche » ne se révèlera guère payante.

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