Comment faire du numérique un outil au service de la coopération entre professionnels de santé ? Participaient à cette table ronde : François BLANCHECOTTE : Président du SDB Lydie CANIPEL : Secrétaire Générale de la Société française de Télémédecine – ANTEL Jean-Martin COHEN SOLAL : Délégué général de la Mutualité Française Yvon MERLIERE : Directeur de la Mission DMP à la CNAMTS Catherine MOJAÏSKY : Présidente de la CNSD Jean-Paul ORTIZ : Président de la CSMF Jean-François THEBAUT : Membre du Collège et Président de la Commission amélioration des pratiques professionnelles et de la sécurité des patients de la HAS Cette table ronde était animée par Sylvie FONTLUPT, Consultante en charge de la communication du CNPS. Sylvie FONTLUPT La coopération des professionnels de santé repose sur une nécessaire coordination des actions mises en œuvre, sur le terrain. Le dossier numérique du patient (DNP), très attendu par de nombreux professionnels de santé, devrait faciliter cette coordination. Pourriez-vous nous dire où en est la mise en place de ce nouvel outil très prometteur, tombé dans les limbes depuis son lancement par Philippe Douste-Blazy, en 2004, alors qu’il était Ministre de la Santé ? Yvon MERLIERE La loi de santé publique de janvier 2016 a relancé le chantier du DNP. Nous souhaitons notamment permettre aux patients de créer leur propre DMP, sans l’intervention des professionnels de santé. Les services d’accueil des caisses d’assurance-maladie auront également la possibilité de créer un tel outil. Nous souhaitons par ailleurs éviter à tout prix de mettre en ligne des DMP vides et nous y transférerons donc les données médicales des douze derniers mois des patients concernés par la création de ce nouvel outil. Pour l’heure, nous sommes dans l’attente du décret d’application sur ce sujet et avons d’ores et déjà préparé le terrain pour qu’une expérimentation puisse débuter dès le mois de septembre 2016 dans neuf départements pilotes. Sylvie FONTLUPT Y aura-t-il une messagerie attachée au DMP ? L’assurance-maladie va-t-elle utiliser le DMP pour surveiller les pratiques des usagers ? Yvon MERLIERE Nous sommes effectivement favorables à la mise en place d’une messagerie sécurisée de santé (MSS), qui va de pair avec l’avènement du DMP. Les données qui seront collectées dans le DMP ne seront par ailleurs pas mises à la disposition des médecins-conseils de la Sécurité sociale ou, plus généralement, de l’assurance-maladie. Les patients pourront en outre facilement télécharger les données les concernant sur le web. Sylvie FONTLUPT Qu’attendent du DNP les professionnels de santé que vous êtes ? Catherine MOJAÏSKY Nous ne souhaitons pas que les patients puissent masquer les données les concernant dans le DNP car les chirurgiens-dentistes que nous sommes doivent pouvoir accéder à toutes les informations relatives aux traitements médicamenteux ou à l’état de santé des patients que nous prenons en charge. C’est la condition sine qua non d’une optimisation du parcours de soins de nos patients. Nous sommes par ailleurs particulièrement intéressés par la nécessaire interopérabilité des logiciels de santé, qui doivent nous permettre de travailler ensemble, au quotidien, dans un souci d’efficacité maximale. François BLANCHECOTTE Les données qui seront collectées sur le DMP devront effectivement être accessibles par tous les professionnels de santé, afin d’améliorer, grâce à cet outil, l’efficience de la prise en charge des patients. Sylvie FONTLUPT Combien y a-t-il de DMP actuellement ? Yvon MERLIERE 560 000 DMP environ sont actuellement en circulation dans notre pays. Jean-Paul ORTIZ Les négociations conventionnelles ont débuté il y a quelques semaines mais nous n’avons toutefois aucune idée de l’enveloppe qui sera allouée au virage ambulatoire, acté dans la récente loi de santé mais qui reste pour l’heure au stade de l’incantatoire. J’en veux pour preuve le nombre pour le moins réduit de DMP d’ores et déjà mis en place sur le sol français. L’utilisation du DMP devra par ailleurs être simple, faute de quoi la greffe ne prendra pas. Nous devrons en outre surmonter le déficit de confiance dont pâtit actuellement ce nouvel outil, placé sous l’égide unique de l’assurance-maladie. Enfin, autre prérequis indispensable à la mise en place du DMP, il faudra que ce nouvel outil ait une réelle utilité, au quotidien, dans la vie des patients et des professionnels de santé. Sylvie FONTLUPT La télémédecine ne cesse de se développer et de nombreuses expérimentations sont mises en œuvre, sur le terrain. Comment les professionnels de santé libéraux y sont-ils éventuellement associés ? Lydie CANIPEL Avant toute chose, il me semble important de revenir à des choses simples en évitant de diaboliser la télémédecine, largement décriée par certains. Partant de là, il convient de faire montre de bon sens en utilisant au mieux tous les outils qui sont mis à la disposition des personnels soignants, sans pour autant supprimer les consultations en présentiel lorsque celles-ci seront nécessaires. Les outils doivent être au service d’un projet médical et de pratiques de soins mûrement réfléchis et non l’inverse. Les outils ne doivent pas, en effet, devenir un carcan dans la mise en œuvre de la prise en charge des patients mais doivent au contraire permettre d’optimiser celle-ci. La télémédecine permet en outre de relier entre eux les professionnels de santé, favorisant par là même l’avènement d’une prise en charge largement interdisciplinaire des patients. Jean-Martin COHEN SOLAL La médecine ne cesse d’évoluer et de progresser, comme en atteste l’augmentation de l’espérance de vie, notamment. Les professionnels de santé que nous sommes ne doivent donc pas avoir peur du numérique mais tirer au contraire le meilleur parti possible de cette révolution, source évidente de progrès. Nous sommes favorables à l’avènement du DMP, qui permettra une meilleure prise en charge des patients ; je confirme par ailleurs que les complémentaires de santé n’auront pas accès aux données collectées dans ce cadre – données dont la confidentialité sera donc parfaitement préservée. Sylvie FONTLUPT Le numérique ne va-t-il pas favoriser la mainmise des complémentaires de santé sur les patients ? Jean-Martin COHEN SOLAL Non. Les informations seront disponibles de manière plus rapide ce qui fluidifiera le système sans pour autant le faire voler en éclat. Jean-Paul ORTIZ Je déplore que l’on isole aujourd'hui le recours à tous ces nouveaux outils numériques du parcours de soins organisé par le médecin traitant. Si nous ne sortons pas de cette ornière, nous favoriserons l’avènement d’une médecine à deux vitesses, ce que nous nous pouvons que déplorer. En tout état de cause, les patients doivent pouvoir bénéficier d’un second avis médical, délivré hors d’un circuit strictement marchand par des professionnels qualifiés. Sylvie FONTLUPT Les coopérations entre professionnels de santé ont aujourd'hui du mal à se mettre en œuvre. Les difficultés réglementaires auxquels ceux-ci se heurtent vont-elles s’aplanir avec l’arrivée du numérique ? Jean-François THEBAUT Pour mieux travailler ensemble, nous devons mieux communiquer, et ce avant même la généralisation du DMP. Pour ce faire, nous devons notamment favoriser l’interopérabilité sémantique entre les différents logiciels à disposition. L’e-prescription nous semble également fondamentale pour améliorer la qualité de la prise en charge des patients. Le développement de la télémédecine, enfin, ne constitue pas une fin en soi mais doit également permettre d’améliorer le parcours de soins des patients. Sylvie FONTLUPT L’absence d’examen clinique n’entrave-t-il pas le développement de la télémédecine ? Lydie CANIPEL Comme je l’indiquais précédent, la télémédecine permet de répondre à distance à certains besoins du patient. Pour autant, nous ne pourrons évidemment pas faire l’économie de l’auscultation du patient dans de nombreux cas. Sylvie FONTLUPT Quid de la mise en place prochaine d’un système de rémunération de l’interpro ? Catherine MOJAÏSKY La négociation ne se déroule pas comme nous l’espérions, c’est le moins que l’on puisse dire. Toutes les demandes faites par l’UNPS ont en effet été rejetées par Nicolas Revel, ce que nous ne pouvons que déplorer. Jean-Paul ORTIZ Le numérique est un outil qui doit nous permettre d’améliorer la coordination des soins et la prise en charge des patients. Le défi que nous avons à relever est donc de savoir si ces nouveaux outils resteront aux mains du secteur marchand ou bénéficieront au contraire d’un arsenal d’aides publiques. Enfin, les professionnels de santé devront s’attacher à sauvegarder leur indépendance professionnelle sans se laisser enchaîner par ces nouveaux outils. Yvon MERLIERE Je retiendrai pour ma part trois notions cruciales des discussions que nous venons d’avoir – la confiance, la simplicité et la performance. Jean-François THEBAUT Pour ma part, j’insisterai sur un point majeur que nous avons déjà mis en exergue au cours de la matinée : en tout état de cause, les structures professionnelles devront accompagner le mouvement, faute de quoi elles perdront pied et n’auront plus qu’à courir derrière le train en marche pour tenter de rattraper leur retard. La séance est suspendue durant l’heure du déjeuner. << 2/6 : Article précédent Article suivant : 4/6 >>